A. Rappel du principe :
La myoplastie d’allongement du temporal, mise au point par le Dr Labbé à Caen (1997), a pour principe de transférer la totalité du muscle temporal, du processus coronoïde jusqu’à la lèvre supérieure. Le temporal est un muscle qui assure par nature l’élévation mandibulaire et la fermeture labiale (⇒ voir la rubrique Chirurgie).
Schémas issus du livret Paralysie faciale, une chirurgie et une rééducation vous sont proposées (par Bélinda Laîné et M-P Lambert-Prou, 2002) :
Grâce à la plasticité cérébrale, le muscle temporal va par la suite changer de rôle : après 6 mois de rééducation orthophonique minimum, il perd sa fonction masticatoire au profit de sa nouvelle fonction muscle élévateur de la lèvre supérieure. A la suite de cette opération, l’hémiface ne présentera pas de risque de nouvelles syncinésies car le muscle temporal est lié au nerf trijumeau (V) et non au nerf facial (VII).
Cette opération n’intervient à la base que sur l’hémiface inférieure. Elle peut s’inscrire dans un processus plus global d’interventions chirurgicales où l’œil est lui aussi pris en charge.
B. Stades de récupération :
Lambert-Prou 1998, 2003) a élaboré les grands principes de la rééducation orthophonique dans le cadre de la MAT selon trois stades de récupération, nommés ici selon sa terminologie :
a) Le stade du “sourire” mandibulaire :
A ce stade, le muscle temporal n’a pas encore perdu sa fonction masticatrice mais sa nouvelle insertion dans le sillon nasolabial (à la place de la mandibule) entraîne l’élévation et l’abduction de la commissure labiale (sourire) lorsqu’il se contracte. Cette contraction dépend des mouvements mandibulaires.
Le sourire ainsi obtenu, dit “mandibulaire”, est indirect car il n’est pas en lien avec l’expression d’un sentiment.
b) Le stade du sourire temporal volontaire :
Progressivement, le patient arrivera à faire un sourire volontaire sur commande sans avoir à serrer les dents : la contraction du muscle temporal devient indépendante de la mobilisation mandibulaire.
L’évolution de la rééducation repose sur la plasticité cérébrale : le cerveau intègre petit à petit le temporal comme muscle labial et non plus comme masticateur.
Le terme “sourire” est ici adéquat, à la façon du sourire volontaire lorsqu’on est pris en photo.
c) Le stade du sourire temporal spontané :
L’élévation de la commissure et donc le sourire se fait spontanément grâce à la contraction du muscle temporal sans déplacement mandibulaire, totalement indépendant de la mobilisation mandibulaire.
Le sourire obtenu atteint un niveau fonctionnel optimal. Cela est dû à une intégration complète du muscle temporal en tant que muscle à fonction labiale par le système nerveux central.
C. Bilan :
Lors de l’anamnèse pré-opératoire, on cherchera à savoir si le patient présente des douleurs ou craquements au niveau de la mâchoire pour évaluer si l’articulation temporo-mandibulaire ne présente pas de déficience qui gênerait la myoplastie d’allongement du temporal.
En plus de l’évaluation classique, il est particulièrement important d’évaluer l’amplitude de la course commissurale. L’appréciation subjective du sourire par le patient est également intéressante à relever.
Rappel
Pour mesurer la course commissurale du sourire, placer une règle au niveau de la commissure labiale au repos et l’orienter en suivant le zygomatique.
Demander au patient un sourire forcé et mesurer alors la distance d’élévation en comparant avec le côté sain.
Le bilan est réalisé régulièrement afin d’évaluer les stades correspondant au changement de fonction du temporal.
D. Rééducation du sourire :
La rééducation implique d’une part les principes de la paralysie faciale non opérée (voir rubrique) pour les zones non concernées par le temporal, et d’autre part un travail spécifique de la course commissurale en suivant les trois stades de récupération.
L’objectif de l’orthophoniste est d’assurer le transfert de fonction du temporal par une intégration au niveau cortical.
Les exercices praxiques décrits ci-dessous peuvent être précédés des massages externes et internes décrits dans la rubrique Préparation au travail musculaire. En plus d’une détente du visage, ils permettent de réduire les oedèmes post-chirurgicaux.
- Suivi pré-opératoire :
il est préférable d’intervenir avant l’opération afin de faire prendre conscience au patient des mouvements de serrage des dents qui entraînent la contraction du muscle temporal, futur muscle du sourire. Les trois mouvements mandibulaires utilisés dans la rééducation post-opératoire sont expliqués au patient :
- occlusion appuyée (serrage des dents)
- rétraction mandibulaire
- diduction côté réanimé
- Rééducation à trois semaines post-opératoire :
La prise en soin peut débuter dans les quinze jours à 3 semaines après l’intervention afin de laisser un temps à la cicatrisation.
Des auto-massages sur la cicatrice vont aider à l’assouplir. Deux doigts en biseau vont glisser l’un contre l’autre sur le relief.
L’objectif premier est de remobiliser le temporal transféré grâce à une mobilisation de la mandibule :
Les syncinésies ne sont pas à craindre sur le temporal car le muscle et le nerf V sont sains.
- Travail de la musculature jugale et labiale :
Les praxies jugales et labiales permettent de favoriser l’élasticité et l’allongement du temporal.
Le travail est réalisé sans forçage s’il reste des lésions sur le nerf facial afin d’éviter les syncinésies qui pouvaient exister avant la chirurgie palliative et qui ne concernent que le VII en son sein.
La jonction labiale est particulièrement travaillée car le patient doit prendre de nouveaux repères vis-à-vis de la position des lèvres, d’autant plus que la commissure est parfois trop tirée au départ, ce qui provoque une légère béance.
- Travail du sourire temporal:
La plasticité cérébrale va progressivement modifier la fonction du muscle temporal (initialement masticateur) en tant que muscle du sourire grâce au lien établi entre le nerf V et l’aire corticale du sourire qui est connectée au noyau moteur du nerf VII.
Stade du sourire temporal volontaire :
Les exercices proposés sont lents et tenus, ils sollicitent de façon alternative les aires cérébrales liées au nerf trijumeau et celles liées au nerf facial .
On demande au patient de sourire une fois en serrant les dents (sourire mandibulaire) puis une fois sans serrer, de façon progressive tout en encourageant verbalement.
Une autre consigne consiste à demander au patient de sourire une fois du côté sain puis une fois du côté opéré sans déplacer la mandibule, en pensant à quelque chose d’agréable.
Stade du sourire temporal spontané :
L’élévation de la commissure se fait spontanément sans déplacement mandibulaire, que ce soit lors :
– du sourire : possibilité de déclencher un sourire lors d’une envie de rire
– de l’articulation : étirement labial possible (phonèmes [i] [e] [ɛ̃]
– de la déglutition : possibilité de vidange salivaire et de préhension labiale.
La spontanéité pourra se travailler en conversation, avec la lecture de sketchs, l’évocation d’une blague, … Il est très important que le patient, au lieu de l’éviter, soit dans la communication afin que le sourire s’active aussi souvent que possible (on peut proposer de mettre en place une aide-mémoire du sourire pour la vie quotidienne si besoin).
⇒ Voir rubrique Accompagnement.
Merci à Malira pour avoir accepté de partager les photos de son blog (cliquer sur les photos pour un aperçu plus grand) :
Le sourire :
Le grand sourire :
L’orbiculaire labial (ouverture / serrage) :
Remarque
Les délais de récupération varient selon les auteurs :
Nduka et Hallam (2012) observent dans leur étude l’apparition du sourire spontané en 5 à 10 mois après l’opération tandis que les résultats de l’équipe de Gatignol (2016) indiqueraient un sourire fonctionnel au bout 3 à 4 mois avec 5 séances espacées de 3 semaines et des exercices quotidiens à domicile réalisés quatre fois par jour pendant 10 minutes maximum.
Guerreschi et Labbé (2015) estiment qu’il faut au minimum 6 mois de rééducation pour un résultat satisfaisant.
Pour Lambert-Prou, plus l’appétence à la communication est importante, plus le sourire spontané apparaît rapidement (possible même à un mois après rééducation).
E. Rééducation des autres fonctions
- Articulation :
On insistera sur les phonèmes [i, e, ɛ̃], qui impliquent un étirement labial, soit les mêmes mouvements que pour le sourire.
Le renforcement jugal est également de mise grâce aux praxies pour éviter le gonflement des joues sur les phonèmes labiaux.
L’articulation est améliorée dans un souci de spontanéité, à travers des mots utilisés fréquemment par le patient.
- Déglutition :
Le temporal peut être utilisé pour contracter la joue et ainsi ramener le bolus vers la langue et les dents. La vidange salivaire du sillon jugal est reprise si besoin.
Il peut être nécessaire de s’attarder aussi sur le travail de la fermeture labiale car une légère béance labiale peut être observée à proximité de la commissure en début de rééducation.
Voir des exemples de consigne dans le tableau vert ci-dessus.
- Fermeture palpébrale :
Le sourire temporal peut être utilisé pour remonter la joue et ainsi pousser en hauteur la paupière inférieure dans le but d’une occlusion facilitée.
Attention toutefois aux syncinésies résiduelles du VII qui pouvaient exister avant l’opération.
- Respiration nasale :
Le muscle temporal aide à élargir la narine. La respiration est facilitée grâce à sa contraction lors de l’inspiration.
SOURCES
- Blanchin, T. et Martin, F. (2011). Chirurgie maxillo-faciale et rééducation : une association nécessaire ; Les nouveaux axes thérapeutiques pré et post opératoires. Les entretiens de Bichat 2011, 160-164.
- Blanchin, T., Martin, F., Labbé, D., (2013). Rééducation des paralysies faciales après myoplastie d’allongement du muscle temporal. Intérêt du protocole « effet-miroir ». Annales de Chirurgie Plastique Esthétique, 28(6), 623-637.
- Guerreschi, P., Labbé, D. (2015). La myoplastie d’allongement du muscle temporal : raffinements techniques. Annales de chirurgie plastique esthétique, 60(5). 393-402.
- Lainé, B., (2002). La paralysie faciale. (plus édité). Paris, France : Ortho édition.
- Lambert-Prou, MP. (1998). Prise en charge de la paralysie faciale périphérique corrigée par transfert du muscle temporal sur la commissure labiale. Glossa n°63, 4-25.
- Lambert-Prou, MP. (2003). Le sourire temporal. Prise en charge orthophonique des paralysies faciales corrigées par Myoplastie d’Allongement du Temporal. Revue de stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale, 104(5), 274-280.
- Lambert-Prou, MP. (2013). Manuel Orthophonique d’aNAlyse de la paraLYSIe FACIALe périphérique. Document inédit diffusé au centre de formation initiale de Caen.
- Lannadère, E. Gatignol, P. (2011). Prise en charge des paralysies faciales périphériques. Les entretiens de Bichat 2011, 79-93.
- Lannadère, E., Gatignol, P., Picard, D. (2016). Principes de rééducation d’une paralysie faciale périphérique. Les monographies Amplifon, 60 (Réhabilitation de la face paralysée), 89-114.
- Lebrun, L., (2012). La paralysie faciale périphérique et sa prise en charge orthophonique en libéral : élaboration d’un livret présentant les techniques d’évaluation et de rééducation propres à la pathologie. (Mémoire pour l’obtention du certificat de capacité d’orthophoniste), Université de Nantes.
- Lhopiteau, M. (2005). Paralyse faciale périphérique : rééducation intégrant la plasticité cérébrale après chirurgie palliative. Glossa n°91, 32-49.
- Nduka C., Hallam M.J. (2012). Refinements in smile reanimation: 10-Year experience with the lengthening Temporalis Myoplasty. Journal of Plastic, Reconstructive and Aesthetic Surgery, 65(7), 851–6.
- Photos : Le Sourire de Malira
Leave A Comment
You must be logged in to post a comment.